Publié dans Le Rabaska, Décembre 2016
L’archéologie et le travail des archéologues
Il n’existe pas d’engouement pour la préhistoire mauricienne, peut-être parce que les populations qui ont précédé n’ont pas laissé de vestiges importants ou de ruines imposantes, mais surtout parce que le matériel de vulgarisation est encore inexistant.
Beaucoup de nos musées sont ainsi remplis de pointes de flèches et de tessons de poterie dont on ignore souvent la provenance. Les archéologues ont bien du mal à expliquer une civilisation hors de son contexte et ceux qui se hasardent à faire des hypothèses se trouvent souvent confrontés à des hypothèses opposées tout aussi défendables.
Il est important de noter que parmi les pionniers de l’archéologie québécoise on compte de nombreux Mauriciens, je pense ici à Normand Clermont, René Hardy, Gilles Boulet et à René Ribes. Avec d’autres pionniers, ils ont répertorié plus de 300 sites archéologiques et découvert 20 000 objets comprenant de la céramique, des pointes de projectiles, des haches polies, des harpons en os et d’autres objets nécessaires à la vie quotidienne des premiers Mauriciens.
Ceci ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a eu aucune recherche archéologique avant les années soixante. Mais les quelques découvertes avant cette époque ont été faites fortuitement au cours de travaux d’excavation ou de défrichement. Cependant les pièces trouvées étaient ramassées au hasard, sans tenir compte de la couche du sol où elles étaient enterrées, ni de l’environnement immédiat de l’artéfact.
On sait, par exemple, que Sigismond Hertel sieur de Cournoyer avait découvert des objets en pierre taillée dans sa seigneurie de Bécancour qu’il a remis aux Ursulines de Trois-Rivières en 1700. Ils étaient sans doute de culture Abénakis On n’a pas retrouvé encore le site exact de cette découverte qui pourrait expliquer le mode de vie de ces premiers habitants de la Rive Sud dont la zone d’influence s’étendait jusqu’en Nouvelle-Angleterre. On aurait également trouvé à Mont-Carmel un masque de grès au faciès asiatique qui pose toujours une énigme aux chercheurs quant à son origine et à son utilisation.
M. Normand Clermont, un Mauricien de souche, fut parmi les premiers francophones à s’intéresser à l’archéologie au Québec. Anthropologue de formation, il donne en 1972 le premier cours universitaire en préhistoire à l’université de Montréal. Entre 1975 et 1977, il fonde la première école de fouilles archéologiques au Québec. Ce sont ses étudiants qui ont été à l’origine de l’archéologie québécoise. M. Clermont est fauteur d’un grand nombre de livres et D’articles spécialisés, pour faire connaître la préhistoire du Québec. En 2002, il recevait le prix Gérard-Morisset pour l’ensemble de ses travaux.
Ce serait Gilles Boulet qui était alors professeur au Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan qui lui aurait donné le goût de la préhistoire. M. Boulet est ensuite devenu le fondateur du Centre des études universitaires de Trois-Rivières qui est devenu l’Université du Québec à Trois-Rivières.
C’est sous son impulsion que s’est créé le musée des arts et traditions populaires du Québec. Il ne faut donc pas se surprendre d’y trouver le premier musée du Québec dédié à l’archéologie québécoise dans l’une de ses salles.
Il y a quelques années à peine, M. René Ribes s’éteignait à l’âge de 83 ans. Français d’origine et archéologue de formation, il arriva au Québec en 1961, pendant 35 ans, il a fait des fouilles dans toute la Mauricie. Dès 1962, il fonde la Société d’archéologie de la Mauricie avec M. Michel Gaumond. En 1963, M. Ribes a fondé le premier musée d’archéologie au Québec. En 1964, il fonde avec Gilles Boulet le Cahier d’archéologie québécoise. C’est sous son impulsion que l’Assemblée nationale vota en 1972 une loi pour protéger les sites archéologiques du Québec. En 1979, il publia avec M. René Verrette le premier catalogue du matériel archéologique trouvé dans la région. Au cours de sa carrière, il a découvert plus de 300 sites amérindiens de la période de l’Archaïque et du sylvicole.
Vestiges archéologiques en Mauricie
On n’a pas trouvé en Mauricie de village iroquoien comme tel, mais on a trouvé des vestiges de camps temporaires qu’ils utilisaient pendant les mois d’été pour chasser et pour pêcher. Les villages iroquoiens étaient essentiellement divisés en deux groupes distincts: ceux de la région de Montréal, centrés autour de la bourgade d’Hochelaga et ceux de la région de Québec, autour de la bourgade de Stadaconé (Québec). Il semble que la frontière entre les deux groupes se situait autour du lac Saint-Pierre. L’archéologue Claude Chapdelaine prétend qu’un groupe vivant dans la région du lac Saint-Pierre était distinct des deux autres. Il appelle la région Maisouna. Le mode de vie de ces deux groupes était similaire, cependant le groupe de Montréal pratiquait l’agriculture de manière plus extensive. Ceux de Québec, pour leur part, dépendaient davantage de la pêche dans l’estuaire du Saint-Laurent pendant les mois d’été. Ils se rendaient pêcher jusqu’en Gaspésie. Ce sont eux que Jacques Cartier a rencontrés lors de son premier voyage dans le golfe Saint-Laurent.
Dans les Laurentides, les Algonquins, essentiellement nomades, continuaient à pourchasser le gibier et à pêcher le poisson des lacs du nord. Il semble cependant que certains d’entre eux ont pratiqué une agriculture rudimentaire pendant les mois d’été où ils s’établissaient pour pêcher et chasser le petit gibier. Ils ont sans doute appris ces techniques par des échanges avec les Iroquoiens établis dans la vallée du Saint- Laurent. Peut-être échangeaient-ils avec eux de la viande et du poisson pour leurs produits agricoles. Les Iroquoiens du Saint-Laurent disparurent de la vallée du Saint-Laurent entre la venue de Cartier et celle de Champlain.
De l’époque archaïque, les sites trouvés en Mauricie sont essentiellement des campements temporaires et saisonniers utilisés pour la chasse, la pêche et la cueillette. Le plus important de ces sites se trouve à Red Mill près de Champlain, à quelque 2 kilomètres du fleuve, sur ce qu’on croit être une crête de plage. Il semble donc que le fleuve Saint-Laurent était plus large à cette époque qu’il ne l’est maintenant. Ce site est situé sur une étendue désertique de 3 kilomètres, on y a trouvé des pointes de flèches et des outils éparpillés sur une assez grande distance.
Cependant, aucun signe d’établissement humain n’a encore été trouvé. Il n’est pas possible de dire qui étaient ces chasseurs qui y ont séjourné. On a trouvé d’autres signes de présence de population de l’époque archaïque, à Batiscan, à Sainte-Anne-de-la-Pérade, à Shawinigan, à Bécancour et à la Pointe-du-Lac. Les découvertes de Bécancour semblent indiquer qu’il y avait de nombreux échanges avec des groupes établis dans l’État de New York.
On a trouvé sur le site du collège Séraphique au coeur du Vieux-Trois-Rivières, une sépulture à 35 mètres d’altitude. Le corps du défunt avait été incinéré et les ossements avaient été recouverts d’ocre rouge. Quatre offrandes avaient été déposées dans la fosse, des haches, une gouge et un ciseau. Ces objets étaient taillés dans du rhyolite gris. Leur état de conservation est parfait.
C’est à l’époque du sylvicole que la culture amérindienne a connu son apogée en Mauricie, d’abord à Batiscan où on a trouvé les plus anciennes poteries connues au Québec. Le campement était situé sur le bord de la rivière Batiscan dont le niveau était beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui. Les objets que l’on a trouvés étaient fabriqués de pierres venues en grande partie des Cantons de l’Est. Il semble que la période d’occupation ait été brève car tous les objets ont été trouvés dans une même couche de terrain, il y a entre 2,800 ans et 3,000 ans. On a trouvé peu de sépultures mais il semble qu’on brûlait les ossements des morts.
À Pointe—du-lac, sur le terrain de la colonie de vacances Saint-Dominique, on a trouvé des vestiges de petits campements dont il ne reste pas beaucoup de traces. On y a trouvé aussi quelques sépultures. Le rapport de recherche de ce site archéologique est disparu au ministère des Affaires culturelles.
Deux sites ont été découverts, tous les deux au Cap-de-la-Madeleine. Le premier, le site Beaumier, a été habité entre 800 et 1,500 après Jésus-Christ, on ne sait pas grand chose de ses premiers habitants. Cependant il a été habité une deuxième fois. Les vestiges de cette époque sont plus importants et ils démontrent que ce sont les Iroquoiens du Saint-Laurent qui s’y étaient établis au XVe siècle. Une analyse au carbone nous donne la date de 1450. Les objets trouvés semblent indiquer une plus grande ressemblance avec la culture de Stadaconé que de celle d’Hochelaga. Le campement était situé sur deux terrasses naturelles en bordure du Saint-Maurice possédant une source d’eau douce. Un deuxième site archéologique s’appelle le site Bourassa, il est situé à proximité et il a été habité lui aussi à deux reprises, une première fois vers l’an 1,000 et l’autre entre 1275 et 1300 de notre ère. Il semble que ces sites étaient occupés à l’automne ensuite en hiver.
En Haute Mauricie, on a trouvé des objets fabriqués en pierre au lac Némiskachie, au lac Brochet, au lac Mékinac, à la Manouane, au lac Kempt, au lac Bob-Grant. À La Tuque, près de la rivière Petite Bostonnais, on a trouvé des éclats de quartz et des ossements humains calcinés qui indiquent que là aussi on brûlait les morts. Alors que les populations de la plaine du Saint-Laurent s’adonnaient à l’agriculture, ceux des Laurentides continuaient à chasser le gibier et à être des nomades; c’est pourquoi les découvertes archéologiques ont été faites à plusieurs endroits sur les anciens terrains de chasse de ces autochtones. Même si les vestiges archéologiques sont épars, les populations du nord nous ont laissé un souvenir qui persiste jusqu’à nos jours, en effet, ils ont peint sur les parois d’un rocher au sud du lac Wapizagonke, dans le parc national de la Mauricie, des peintures en ocre rouge (voir photo en couverture)1.
L’archéologue Claude Chapdelaine prétend qu’un groupe bien distinct d’Iroquoiens du Saint-Laurent habitait le territoire actuel de la Basse Mauricie, il appelle ce territoire Maisouna. Des découvertes archéologiques récentes semblent corroborer cette thèse. En effet, l’archéologue Eugène Morin donne un nom au type de poteries découvertes dans la région: il l’appelle la tradition Saint-Maurice. Ce type de poteries semble indiquer qu’il y aurait eu des contacts fréquents avec les Iroquoiens établis dans l’État de New York. En effet au site Bourassa, les poteries ont beaucoup d’affinités avec celles trouvées dans cette partie des États Unis.
Il semble que la sédentarisation ait été beaucoup plus lente à se faire à l’Est de Montréal, mais l’augmentation de la population engendrée par l’adoption de l’agriculture comme mode de subsistance principal des Iroquoiens semble avoir forcé de plus en plus de gens à se déplacer vers l’Est. La culture du maïs ne s’est faite que 200 ans plus tard en Mauricie que dans la région de Montréal, soit vers 1,200 après Jésus-Christ. Ces populations connaissaient la poterie depuis longtemps.
Les nouveaux venus auraient adopté un style bien particulier pour décorer leurs poteries, en effet ils se servaient de l’empreinte d’un bâton entouré d’une fibre végétale pour décorer le rebord supérieur du vase et parfois même l’intérieur de ce vase. De plus, on dessinait des chevrons et des lignes horizontales pour décorer le col du vase. Les vases fabriqués auparavant n’étaient pas décorés sur leur rebord extérieur.
Pour ceux et celles qui s’intéressent à poursuivre leurs recherches sur cette période méconnue de notre histoire, il leur faudra lire des rapports d’études puisque, à ma connaissance, il n’existe encore aucun ouvrage de vulgarisation couvrant cette période de notre histoire régionale.
1 Le Parc National poursuit des consultations aux fins de datation de ces peintures. La trop faible épaisseur de l’ocre déposé rend les conclusions incertaines à ce jour. (n.s.l.r.)